PRIX

INFINI-GALAXIES 2010


Les 6 textes reçus en 2010

1 - Etat des lieux

2 - Bandits blues

3 - Loui de Belizem

4 - Il, qui prend des notes

5 - Mission humanitaire

6 - Moment d'égarement

Bilan et Palmarès

Très (trop) peu de textes reçus en 2010. C'était la dernière année pour laquelle l'inscription au concours était payante, alors que se développait une protestation contre ce type de pratique. Ceci explique peut-être cela.

En fait il y eut un septième texte, rejeté car trop long...

Mais le jury a été unanime pour préférer le texte qui a obtenu (à l'unanimité) le Prix Infini 2010 : Etat des Lieux, de Philippe Guillaut

Remarque : le Prix change de nom pour intégrer le partenariat financier et éditorial avec la revue Galaxies. mais il ne portera ce nom que le temps de la proclamation des résultats par le Président, Alain le Bussy. En effet, celui ayant disparu en novembre 2010, le vice-président, promu à la présidence, propose au jury d'adopter pour le Prix le nom d'Alain le Bussy...

Premières LIGNes de la nouvelle classée première

Etat des Lieux

de Philippe Guillaut

Ils aperçurent le grand portail, son vert foncé encore reconnaissable de loin, largement ouvert. Ils pressèrent le pas. Malgré la fatigue, les nids-de-poule, le petit chariot qui roulait mal. Puis, juste aux noisetiers, à cinq mètres de la grille, ils s’arrêtèrent. Elle était trop rouillée pour pouvoir encore se fermer. Le pilier gauche disparaissait dans les ronces. Sans se regarder, ils repartirent, lentement. Pourtant, l’allée était en pente douce. Et plutôt en bon état. Ils avaient fait mettre des cailloux blancs, plusieurs camions-bennes, bien tassés, certains affleuraient encore, par endroits, encore un peu blancs. L’homme prit le temps d’en dégager quelques uns, délicatement, du bout de son bâton ferré. Mais la femme continua à marcher.

Jusqu’à ce que les chiens se mettent à aboyer. Ils ne distinguaient encore que le toit de la grange. Au-dessus montait une fumée légère qui se dispersait presque aussitôt. On était à l’automne, et quelques feuilles se détachaient dans le petit vent froid, sous un ciel laiteux à la clarté trompeuse. Chacun de leurs pas était lourd et raide, des pas d’automate. Enfin, ils tournèrent le coin gauche de la grange. Six chiens leur barraient la cour, babines retroussées. Il s’arrêta, mais elle marchait encore.

Sur le seuil de l’entrée parut un homme. Plutôt jeune, la trentaine au plus, barbe noire en broussaille, treillis boueux et informe qui le rendait encore plus massif. Il tenait simplement son fusil automatique en travers du corps, comme un outil quelconque. La femme se figea en l’apercevant. Un bouledogue s’approcha d’elle, la gueule luisante et grondante. Mais elle ne lui jeta pas un regard. Ses yeux glissaient maintenant le long de la façade, butant aux fenêtres murées, redescendant par les gouttières crevées, pour finir par s’accrocher à ceux de son mari, grands ouverts, implorants – des yeux de femme noyée en rêve.

Le barbu s’était avancé dans la cour et rappelait ses chiens. Dans la maison, derrière ce qui restait de carreaux, étaient collées des têtes d’enfants. Sous les aboiements qui refluaient spasmodiquement, on percevait des grognements de porc, depuis la grange, le caquetage indifférent des poules, peut-être le remuement d’une vache ou d’un cheval – des bruits qu’ils n’avaient bien sûr jamais entendus ici, mais qui leur parurent, du moins au mari, plus concevables que tout ce qu’ils avaient rencontré depuis. Alors il esquissa un sourire d’encouragement à sa femme, découvrant avec un vague éclat dans l’œil sa dentition jaune et trouée, avant de faire face à l’autre homme, qui s’était campé à quelques pas de lui, la kalachnikov toujours au repos.

(A suivre dans Galaxies N°10)